Les scientifiques ont démontré que le stress, vécu par l’enfant à cause des violences conjugales, avait un impact fort sur le développement de son cerveau. Il altère ses capacités d’apprentissage, ses relations aux autres, cause de l’anxiété et a des répercussions sur l’adulte qu’il deviendra.

enfant victime de la violence d'un parent« Je reste pour mes enfants » puis « Je pars pour mes enfants »

De nombreuses femmes nous disent ne pas pouvoir partir à cause des enfants, pour préserver la famille, parce qu’ils ont besoin de leur père. Cependant, la violence – par les menaces, les insultes, les mises en danger, les bousculades…- terrorise l’enfant, crée chez lui un très grand stress. Ce stress a des conséquences.

Quelques mois après nous avoir rencontrés, avoir pu parler avec les psychologues et les autres femmes, la victime nous confie souvent : « il faut que je parte pour mes enfants ».

Les enfants ne sont pas des « témoins » des violences conjugales

Comme l’explique Lynn Hecht Schafan, avocate et directrice du National Judicial Education Program aux États Unis, considérer les enfants comme des témoins pose deux problèmes.

D’une part, ce terme implique de la passivité alors que les enfants ne sont pas du tout passifs au sein de la famille. Bien au contraire, la cellule familiale est leur environnement, ils en sont dépendants. Lorsqu’ils sont placés au cœur de la violence, ils sont amenés à réagir. D’autre part, l’enfant, qu’il voie les agressions ou non, ressent profondément l’atmosphère de tension et de peur dans laquelle il vit. Ce stress a des conséquences directes sur lui, et ce, de manière récurrente.

Lynn propose d’utiliser le terme d’« enfant exposé à la violence conjugale ». Nous irons plus loin en parlant d’enfant victime.

Les sciences sociales ont clairement montré l’impact des violences conjugales sur les enfants

Lynn Hecht Schafan rappelle que plus d’un millier d’articles, publiés de 1996 à 2006, décrivent les effets des violences conjugales sur les enfants.

Voici leurs conclusions :

•  L’enfant, dont le père fait subir des violences conjugales à la mère, connaît des agressions émotionnelles aux implications négatives sur sa santé mentale, psychique et sur ses futures relations avec les autres.

• Grandir dans un foyer violent peut gravement compromettre le développement émotionnel et les capacités personnelles de l’enfant. Ces effets se poursuivront à l’âge adulte et contribueront à alimenter le cycle de la violence.

• Plus un enfant est exposé tôt et de manière prolongée à la violence, plus les problèmes seront graves, car le développement de l’enfant en sera affecté.

Les neurosciences, qui sont beaucoup plus récentes, expliquent maintenant pourquoi les violences conjugales sont si désastreuses pour les enfants

Le docteur Bruce Perry de la ChildTrauma Academy de Houston, le docteur Jack P.Shonkoff, directeur du Center for Developing Child de Havard et le docteur Edward Tronick, directeur du Center for Developing Child de l’University of Massachusetts à Boston sont les auteurs de nombreuses publications. Ils étudient les mécanismes neurologiques qui se mettent en place chez les enfants lors des violences conjugales.

Dans les premières années, le cerveau de l’enfant est particulièrement souple. Il construit tout un réseau de nouveaux neurones, il développe des connexions en fonction de ses expériences sensorielles, affectives, conceptuelles. Véritable éponge, il absorbe les informations et va se modeler en fonction des relations aux personnes de l’entourage, principalement les parents.

Le stress a un effet particulièrement délétère sur le cerveau.

Les enfants, qui sont exposés à la violence conjugale, vivent dans un état de tension qui génère un taux élevé de cortisol.

Comme le souligne le docteur Catherine Gueguen, pédiatre français, le cortisol altère le développement de la mémoire. Il réduit les synapses et détruit certains neurones. Cette atteinte pourra occasionner des pertes de mémoire, des difficultés de concentration, des crises d’anxiété ou de panique, un manque de confiance en soi, des difficultés à créer des relations avec les autres, etc.

Catherine insiste sur le fait que le stress, vécu par la mère durant la grossesse, retentit sur le développement de l’enfant in utéro. Notons que l’on observe 2 fois plus de fausses couches chez les femmes victimes de violences conjugales et que le risque de donner naissance à un enfant prématuré augmente de 37 %.

La réaction de l’enfant face au stress

Les professeurs américains ajoutent que sous l’effet du stress, l’humain cherche à se défendre ou à fuir. Or l’enfant – surtout lorsqu’il est bébé ou très jeune – ne peut faire ni l’un ni l’autre. Il réagit alors en se dissociant. Il se déconnecte de la réalité. Cet état a des conséquences sur sa santé et génère souvent des problèmes somatiques, une mise en retrait, un sentiment d’impuissance, de la dépendance, de l’anxiété, de la dépression.

Le stress intense, dû à la situation de violences conjugales, occasionne également des troubles du sommeil, des réactions de sursaut, de l’hyperactivité.

Ainsi, l’enfant exposé aux violences conjugales peut rencontrer plus de difficultés à l’école. Docteur Bruce Perry nous en donne un exemple. Un enfant élevé dans un environnement sécurisé peut être assis dans la même classe qu’un enfant exposé aux violences conjugales, qui lui connaît un état d’alerte permanent. Les deux entendent les instructions du professeur. Alors qu’ils ont un QI identique, le premier enfant se concentrera sur les mots prononcés par le maître ou la maîtresse tandis que le deuxième enfant aura plus de difficultés à traiter et à stocker les informations données par l’adulte.

Que faire ?

Pour toutes ces raisons, Lynn Hecht Schafan martèle que l’action la plus bénéfique que puisse faire la justice pour un enfant exposé aux violences conjugales est de mettre fin à cette exposition et d’aider le parent qui le protège.

1. Assurer la sécurité de l’enfant

Le National Child Traumatic Stress Network (NCTSN) qui prend en charge les enfants exposés aux violences conjugales explique qu’il faut avant tout aider la famille à se mettre en sécurité, en respectant ce que souhaite le parent victime. La première étape pour l’enfant est de voir que la personne violentée qui prend soin de lui est en sécurité.

Le NVTSN précise que l’accompagnement est complexe et nécessite des savoir-faire multiples pour apporter à la fois un soutien juridique, social et psychologique.

2. Renforcer le lien avec le parent non violent

En ce qui concerne l’enfant, l’organisme se donne comme priorité de soutenir et de renforcer la relation entre le parent aimant. Pour la plupart des enfants, une relation forte avec le parent est un facteur clé pour qu’ils puissent guérir des effets traumatiques subis.

3. Proposer un programme sur mesure à l’enfant

Ensuite, la structure propose un programme en fonction de l’âge de l’enfant, de la nature et la gravité des violences, des réactions traumatiques, des circonstances et de la disponibilité d’autres soutiens. Les entités du NCTSN offrent des accompagnements en groupe ou/et individuels aux enfants.

Selon elles, il est primordial que les enfants puissent se poser et se rendre compte qu’ils ne sont pas seuls à vivre de telles difficultés et de telles peurs. Ces moments privilégiés leur offrent une chance de parler en présence d’un professionnel neutre et bienveillant et de donner du sens à leurs expériences. Les enfants comprennent souvent mal ce qui s’est passé et pourquoi cela s’est passé. Certains s’en veulent, accusent la victime, s’en prennent à la police ou à d’autres intervenants. Ils se sentent déchirés entre les deux parents, tourmentés par des sentiments contradictoires d’amour et de peur pour le parent violent.

Le psychologue va écouter les tiraillements de l’enfant et discuter avec lui de certaines interprétations. Ce travail est particulièrement bénéfique. Il permet de comprendre ce que l’enfant a vécu, en détail, et d’identifier les éléments qui le perturbent le plus pour pouvoir agir efficacement.

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