Violences conjugales et prise en charge du psychotraumatisme

De nombreuses études, ainsi que nos constats de terrain, montrent les conséquences des violences sur la santé mentale des femmes qui en sont victimes.

Il faut rappeler que la grande majorité d’entre elles n’avaient pas d’antécédents de troubles psychiatriques avant les violences[1].

Les violences conjugales causent fréquemment des troubles anxieux, dépressifs, une baisse de l’estime de soi, ainsi que des symptômes de stress post-traumatiques[2], y compris lorsque la violence s’exprime uniquement par de la violence psychologique.

Lorsqu’il est confronté à un choc traumatique, notre cerveau est dépassé et n’arrive pas à traiter les informations choquantes comme il le fait ordinairement. Cela cause des perturbations qui peuvent s’expriment sous forme d’irritabilité, angoisses, cauchemars, reviviscences et ruminations à propos du vécu traumatique, tendance à l’isolement, état dépressif, comportement agité voire violent, douleurs physiques, somatisations…[3]

Le stress post-traumatique présente trois grandes classes de symptômes : reviviscence, évitements et hypervigilance.

  • La personne revit continuellement la scène traumatique en pensée ou en cauchemars
  • Elle cherche à éviter – volontairement ou involontairement – tout ce qui pourrait lui rappeler de près ou de loin le trauma
  • Elle est fréquemment aux aguets et en état d’hypervigilance, malgré l’absence de danger imminent.

Le stress post-traumatique est fréquemment associé à d’autres troubles, comme un épisode dépressif, de l’anxiété, des troubles du sommeil et des addictions.

 

Qu’est-ce que l’EMDR ?

C’est une psychologue et chercheuse américaine, Francine Shapiro, qui a trouvé en 1987 un moyen de retraiter des vécus traumatiques, qu’elle nomme EMDR (Désensibilisation et Retraitement par les Mouvements Oculaires).

L’EMDR est une psychothérapie qui permet de traiter les symptômes et la détresse émotionnelle résultant d’expériences de vie traumatiques ou troublantes. Il s’agit de soigner les séquelles post-traumatiques, qui causent divers symptômes, parfois très invalidants, même de nombreuses années après l’événement.

La thérapie EMDR montre que le psychisme a la capacité de guérir des traumatismes psychologiques tout comme le corps récupère d’un traumatisme physique. Elle part du principe que le système de traitement de l’information du cerveau évolue naturellement vers la santé mentale. Mais si ce système est bloqué ou entravé par l’impact d’un événement trop fortement perturbant, cela peut causer une souffrance intense. Le protocole EMDR permet de dépasser ces blocages, pour que le psychisme reprenne ses capacités à retraiter l’information et activer ses processus naturels de guérison.

 

La thérapie EMDR fonctionne en huit étapes.

 

Des étapes préalables sont nécessaires pour construire la confiance envers la thérapeute, comprendre la problématique de la personne, expliquer le fonctionnement de la thérapie, et pour déterminer conjointement quel souvenir sera traité en premier.

 

Étape 1

La patiente et la thérapeute identifient les souvenirs pénibles : les situations actuelles ou futures qui provoquent une détresse émotionnelle, et les événements du passé qui leur sont liés. On recherche également les conduites et compétences qui sont nécessaires, actuellement ou dans l’avenir.

Étape 2

Cette phase vise à consolider la capacité de la patiente à faire face à la détresse émotionnelle, en développant des techniques de gestion du stress, mobilisables également entre les séances.

Étapes 3 à 6

Une fois que le souvenir et ses répercussions négatives actuelles ont été identifiés, les mouvements oculaires sont introduits. Ces mouvements permettent l’activation des mécanismes cérébraux, pour transformer la signification émotionnelle des événements douloureux. Il s’agit d’un processus conscient, qui correspond à ce que fait naturellement notre cerveau quand il n’est pas entravé par un souvenir traumatique.

Des séries de mouvements oculaires rapides sont effectuées, avec l’aide de la thérapeute.

Entre chaque série, la patiente dit ce qui lui vient à l’esprit ; il n’y a aucun effort à faire pour obtenir un résultat particulier, le souvenir de l’événement est re-traité spontanément par la personne, selon son vécu propre, sa personnalité et ses ressources.

Les mouvements oculaires sont poursuivis jusqu’à ce que le souvenir ciblé ne cause plus de perturbations. Il est ainsi mis à distance, et a perdu de son impact douloureux ou désagréable.

De nouvelles considérations apparaissent, qui proviennent de la patiente elle-même. Ces nouveaux éléments réduisent l’impact négatif des souvenirs traumatiques, sans devoir raconter dans le détail les vécus douloureux du passé.

Étapes 7 et 8

Ce sont des étapes de clôture, au cours desquelles on s’assure du maintien des changements positifs qui ont eu lieu au cours du travail. Il s’agit aussi de renforcer les ressources en vue du futur.

Une description détaillée des huit étapes peut être trouvée dans l’ouvrage de Francine Shapiro[4].

Le principe de fonctionnement des mouvements oculaires n’est pas encore expliqué avec certitude, bien, que des études montrent que l’EMDR active un mécanisme neurobiologique spécifique, qui permet un retraitement cognitif des événements traumatiques, associées au soulagement de vécus émotionnels douloureux[5].

Ainsi, les études menées supposent qu’un mécanisme similaire à celui qui se produit durant les mouvements oculaires rapides du sommeil paradoxal serait mobilisé[6]. Il semblerait que les mouvements rapides des yeux qui apparaissent dans cette phase de sommeil profond jouent un rôle dans le processus de remémoration des souvenirs, le traitement de l’information et la production des rêves. Le rôle du sommeil paradoxal pour l’apprentissage et la fixation de la mémoire est aujourd’hui clairement établi.[7]

 

Efficacité de l’EMDR

Depuis près de de 30 ans la thérapie EMDR a prouvé son efficacité à travers de très nombreuses études scientifiques contrôlées mises en place par des chercheurs et cliniciens du monde entier[8]. Elle est principalement validée pour le trouble de stress post-traumatique. A ce titre, la thérapie EMDR est recommandée, entre autres, par la Haute Autorité de Santé[9], L’Organisation Mondiale de la Santé[10] et l’Inserm[11].

Quel intérêt pour l’accompagnement des femmes victimes de violences conjugales ?

 

Bien entendu, l’accompagnement des femmes victimes de violences conjugales ne se résume pas à la thérapie du psychotraumatisme. Selon les spécificités des situations, il est nécessaire de faire intervenir de nombreuses compétences et des acteurs complémentaires (aspects juridiques, sociaux, accompagnement psychologique individuel et collectif). Une prise en charge personnalisée, globale, pluridisciplinaire et concertée est nécessaire pour accompagner les femmes victimes de violences conjugales.

 

Si l’on se centre uniquement sur le psychotraumatisme, on relève que certaines études mesurent l’impact de l’accompagnement psychologique du psychotraumatisme pour des femmes ayant subi des violences conjugales.

 

Une étude de 2012[12] démontre les effets positifs de la thérapie EMDR sur la réduction des symptômes de stress post-traumatique, d’anxiété et de dépression de femmes victimes de violences conjugales. Après 3 à 9 sessions d’EMDR, les femmes prises en charge voient l’ESPT et l’anxiété dont elles souffraient, diminuer de manière significative et durable. Ces constats vont dans le sens d’une efficacité de la thérapie EMDR auprès des femmes ayant subi des violences conjugales.

Une autre étude de la même année porte spécifiquement sur l’évaluation de la prise en charge des femmes victimes de viols conjugaux[13]. Les auteurs notent que cette thématique a fait l’objet de peu d’études[14], et qu’une évaluation de la prise en charge n’avait pas encore été effectuée. Leurs conclusions permettent d’affirmer que l’EMDR peut être une réponse adaptée à la prise en charge des femmes victimes de viols conjugaux. Ils démontrent que cette approche thérapeutique permet de réduire rapidement les symptômes qui apparaissent en conséquence des viols conjugaux. Ils préconisent donc cette prise en charge, tout en incitant à poursuivre les recherches dans ce champ.

 

Recherche sur l’efficacité de la prise en charge EMDR à l’association Elle’s Imagine’nt :

Notre association souhaite poursuivre cet axe de recherche en mesurant l’impact sur l’anxiété, la dépression, le stress post-traumatique et l’estime de soi, avant et après un ensemble de séances d’EMDR.

 

Nous proposons donc à 10 femmes une prise en charge thérapeutique des conséquences post traumatiques de violences sexuelles subies à l’âge adulte. Les séances se dérouleront entre mars et août 2019.  Bien entendu, l’anonymat des participantes et la confidentialité sont respectés.

 

Si vous souhaitez  bénéficier d’un tel accompagnement, et participer à cette recherche de terrain, vous pouvez prendre contact avec Irène, psychologue au sein de l’association : irene.cj@ellesimaginent.fr

 

[1] Lamy, Dubois, Jaafari, Carl, Gaillard, Camus, El Hage (2009) Profil clinique et psychopathologique des femmes victimes de violences conjugales psychologiques. Revue d’Epidémiologie et de Santé Publique 57, 267–274
[2] Daligand (2015) Violences conjugales. Aspects psychopathologiques. Éthique et santé (2015) 12, 250—257
[3] http://www.emdr-france.org/web/quest-therapie-emdr/
[4] F. Shapiro (2001) Eye movement desensitization and reprocessing:  Basic principles, protocols and procedures (2nd edition) New York: Guilford Press.
[5] Pagani M, Di Lorenzo G, Verardo AR, Nicolais G, Monaco L, et al. (2012) Neurobiological Correlates of EMDR Monitoring – An EEG Study. PLOS ONE 7(9): e45753. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0045753
[6] Stickgold, R. (2002). EMDR : A putative Mechanism of Action. Journal of Clinical Psychology (58), 61-76
[7] Tarquinio, C. (2007) La thérapie EMDR dans la prise en charge du traumatisme psychique. Stress et trauma 7 (2) : 107-120
[8] https://www.ifemdr.fr/meta-analyses-sur-lemdr/
[9] Haute Autorité de Santé (2007) Guide-Affection de longue durée : Affections psychiatriques de longue durée, Troubles anxieux graves, page 17.
[10] Organisation Mondiale de la Santé (2013) Guidelines for the Management of Conditions Specifically Related to Stress, pages 37-39.
[11] Inserm (2015) Etat des lieux de la validation de l’efficacité de l’hypnose et de l’EMDR.
[12] Tarquinio C, Schmitt A, Tarquinio P. (2012) Violences conjugales et psychothérapie Eye Movement Desensitization Reprocessing (EMDR) : études de cas. Evol psychiatr 2012; 77.
[13] Tarquinio C, Schmitt A, Tarquinio P., Rydberg, J.A., Spitz, E. (2012) Intérêt de la psychothérapie « EMDR » dans le cadre de la prise en charge de femmes victimes de viols conjugaux. Sexologies 21, 92-22.
[14] Martin, K., Taft, C., Resick, P. (2007) a review of marital rape. Aggress violent behav 2007 ; 12 : 329-47