Elle's Imagine'nt

Le docteur Stéphanie Hahusseau, médecin psychiatre et psychothérapeute, a répondu aux questions d’Elle’s Imagine’nt avec enthousiasme et implication. Spécialiste des émotions, elle aborde les violences conjugales, la peur, la colère, la différence, les relations amoureuses

Hahusseau-Stephanie.

« Je soigne davantage par la psychothérapie que par les médicaments et c’est par choix. J’écris également des livres afin de sensibiliser les gens à leurs émotions ».

Dans votre cabinet, recevez-vous des femmes victimes de violences conjugales ? Et des enfants ?

Je reçois beaucoup de personnes ayant subi des traumatismes. Généralement, je vois plus de personnes avec des antécédents de violences, car les femmes qui sont encore en couple avec un partenaire maltraitant ont du mal à consulter.

Souvent la violence conjugale est une sorte de répétition des maltraitances antérieures infantiles, non perçues comme traumatiques. En effet, si l’on tolère la violence et la maltraitance, c’est soit que l’on a été conditionné, dans l’enfance, et que l’on n’a jamais traité ces traumatismes, soit que l’on se trouve dans une période de fragilité : le deuil, la grossesse… Ces conditions font que l’on est moins apte à déceler que l’on vit quelque chose de traumatique. La répétition, l’absence de témoin, l’isolement amènent la victime à se demander si c’est elle qui a un problème ou la personne en face.

Je ne travaille pas avec les enfants. Quand les parents prennent soin d’eux, les enfants vont mieux.

Quand on est victime de violences conjugales, comment peut-on gérer ses émotions ?

Je propose aux femmes qui ont été victimes de violences conjugales de noter – chaque jour – ce qu’elles ressentent sur un carnet afin d’être attentives à leurs émotions négatives. Le but est de les aider à la prise de conscience de manière à pouvoir ensuite réagir. Cet exercice les pousse aussi à prendre du recul pour ne pas ruminer les blessures.

Je leur propose également de pratiquer des exercices permettant de percevoir leurs sensations physiques et émotionnelles. Ainsi, elles observent l’endroit, dans le corps, où elles ont le plus mal et elles essayent de travailler leur respiration à ce niveau-là. En général, cela entraîne des émotions fortes qui permettent d’évacuer, de se libérer. Nous ré-enclenchons alors l’activité d’une partie du système nerveux autonome appelé le parasympathique. Il est en charge de déclencher des comportements qui soient bons pour nous-mêmes. Sa stimulation rend possible, de façon automatique, des comportements plus adaptés : partir, signaler en fonction de la situation, etc. Elle évite aussi de se retrouver dans un état de stress permanent (c’est alors le système sympathique qui est hyper-activé) qui nous font courir des risques d’épuisement.

Autre méthode, ne pas hésiter à revenir – si possible en étant accompagné par un professionnel – sur son passé, sur les choses que l’on a vécues, en les visualisant. En plongeant dans les sensations douloureuses, l’on traite, petit à petit, les événements de l’enfance que l’on a normalisés. Par exemple, si, enfant, l’on a été frappée, le fait de revisualiser ces coups et de mettre de la respiration dans les sensations générées permet de traiter ces expériences avec un cerveau d’adulte et de se dire : « ce qui m’est arrivé n’est pas normal, je ne ferai pas subir cela à mon enfant » ou « jamais un adulte ne fera cela à un autre adulte ». Grâce à cet exercice, on peut enfin se dire que « je ne suis pas le problème ».

Est-ce que les hommes et les femmes sont au même niveau émotionnel ?

C’est un sujet que je traite dans mon dernier livre « Un homme, un vrai ». Les cerveaux émotionnels des hommes et des femmes sont les mêmes. Nous avons les mêmes émotions, les mêmes besoins. Par contre, culturellement, l’on va plus parler des émotions aux petites filles qu’aux petits garçons. Les garçons ont des sensations dans le corps et passent à l’acte sans la phase de verbalisation et d’émotion. Un homme qui pleure est perçu comme un homme faible.

Les hommes ont peu le droit d’exprimer la tristesse. Heureusement, cela commence à changer. Pour les femmes, on dit qu’une femme qui pleure est dépressive, qu’une femme en colère est hystérique : on a tendance à catégoriser et à systématiquement attribuer ses émotions à ce qu’elle est et non pas à ce qu’elle vit.

C’est quoi un homme, un vrai ?

Un homme, un vrai, avec un H majuscule est un être humain, un vrai. Il sait reconnaître ses émotions, les verbaliser, s’en occuper sans culpabiliser. Il est à la fois courageux comme on le dit des hommes et sensible comme on le dit des femmes.

La violence conjugale s’appuie-t-elle sur la différence que fait notre société entre l’homme et la femme ?

Effectivement. Cette pseudo différence est davantage construite qu’innée. Tout le monde est par exemple persuadé que la maternité rend les femmes heureuses. On se demande parfois si l’on n’est pas en train de régresser par rapport aux droits des femmes. La société – notamment à partir de la maternité – ne protège pas les femmes. Dès que l’on devient mère : au niveau professionnel, du salaire, de la retraite, de l’épanouissement, des aides… c’est la catastrophe.

Finalement, avoir des enfants dans les conditions actuelles est risqué. Les divorces sont fréquents et ce sont alors les mères qui sont responsabilisées des enfants et pas toujours par choix. Parce qu’on les oriente vers des métiers ou vers des occupations où elles prennent les autres en charge, les femmes sont beaucoup confrontées à tout ce qui est incontrôlable : le sang, les cris, les couches… Ancrées dans le réel, elles ne peuvent pas partir dans des dogmes et pondre des systèmes politiques ou philosophiques idéalisés. Elles sont dans la vie. Dès lors, elles ne sont plus écoutées, ni visibles parce qu’elles ne peuvent pas être partout. Elles tapent moins du poing sur la table. Elles s’affirment moins et s’en remettent à un partenaire qui n’est pas toujours bienveillant ni soutenant. Par ailleurs la société ne les valorise pas.

Le mal est tellement banalisé que l’on ne s’en rend pas compte. Quand on s’est cassé la tête à faire des études, à travailler ou à tenter de construire une carrière, la maternité signifie faire tout mal. Et même sans qu’il y ait forcement de violence au sein du couple, c’est difficile à vivre.

Comme cela ne choque personne, les femmes se culpabilisent, n’osent pas faire confiance à ce qu’elles ressentent, se remettent en question, s’isolent. Dans le cadre de violences conjugales, l’engrenage s’accentue.

Notons que, parfois, les femmes sont conservatrices sur le modèle homme/femme.

stephanie-hahusseau2Est-ce que la colère est acceptable dans un couple ? Peut-elle apporter du positif ?

Tout est une question d’équilibre. Normalement, la santé mentale dépend de l’équilibre des émotions : la tristesse, la joie, la peur, la colère… Le problème advient quand la colère est le seul registre émotionnel, quand une personne exprime uniquement de la colère.

Prenons des chiffres : les unions qui réussissent répondent à l’équation « 3 fois plus de compliments que de critiques ». En fait, il faut trouver cet équilibre en soulignant les choses positives. Or, les hommes se dispensent de souligner les éléments positifs et les femmes, quand elles sont dans la frustration, finissent par n’exposer que les critiques.

Chez les femmes, la colère n’est pas un sentiment accepté et sera rapportée à sa personnalité. On dit qu’elle a un souci, qu’elle est hystérique. On ne traite pas la colère des femmes en la rattachant à un contexte. On lui renvoie qu’elle a ses règles, qu’elle est « chiante », qu’elle est « bipolaire », « borderline »…

Dans le couple, si la femme exprime de la colère et que son mari l’invalide de cette manière, les problèmes s’accentuent. Et elle perd de plus en plus confiance en elle.

Peut-on contrer la peur dans une nouvelle relation amoureuse après avoir subi des violences conjugales ?

Oui, mais il faut prendre un temps pour panser ses blessures, sinon l’on va vers une relation pansement, qui n’est pas une situation durable, en général. Mieux vaut travailler sur soi pour repartir différemment, afin de ne pas surinterpréter ce qui se passe avec la nouvelle personne. Le moindre désaccord risque d’embraser le foyer émotionnel, de réveiller le souvenir de la relation toxique, de susciter des émotions très intenses et la personne en face ne comprendra pas.

Est-ce alors possible de reconstruire sa vie amoureuse ?

Oui, c’est évidemment possible.

Il est cependant important, selon moi, de diminuer l’enjeu que l’on met sur les femmes, d’arrêter de leur dire qu’être célibataire, c’est être en échec, contrairement aux hommes. La femme est conditionnée dès son enfance à trouver le prince charmant, à se marier. Chez les femmes, on en est encore à Réussir sa vie – c’est réussir son couple, semble-t-il. Cette quête amoureuse est merveilleuse évidemment , mais l’on peut d’autant mieux la poursuivre que l’on s’accomplit autrement : par la spiritualité, un engagement politique, en s’entourant des gens que l’on aime… sans forcement s’enfermer dans cette exclusivité amoureuse. Il faut diminuer cet enjeu amoureux auprès des femmes, un enjeu qui leur fait accepter hélas des choses inacceptables. 

Pour conclure cet échange, avez-vous d’autres recommandations à faire aux femmes ?

Donner autre chose à rêver aux petites filles que la quête d’un homme. Avant de faire un enfant, être attentif aux modalités de partage des tâches, avoir beaucoup d’indépendance financière, car cela rend plus décisionnaire et ne jamais la lâcher, quoi qu’il arrive. Et puis, dès que l’on sent, en soi, trop d’émotions négatives, il faut vite s’en occuper en lisant des livres, consultant, faisant des exercices. Les émotions sont réellement des signaux d’alarme et il est primordial d’apprendre à les écouter, de s’en responsabiliser. Il faut accepter de les ressentir, de les vivre pour ne pas somatiser.

 

LIVRES :

– « Un homme, un vrai ; dissiper les malentendus émotionnels hommes-femmes » 2015 Odile Jacob

– « Tristesse, peur, colère : Agir sur ses émotions » 2006 Odile Jacob

– « Comment ne pas se gâcher la vie » 2003 Odile Jacob

Pour en savoir plus : www.stephaniehahusseau.com

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