Irène est la voisine de Mathieu et d’Odile depuis 2 ans. Régulièrement, elle entend des cris à travers le mur et sait qu’Odile est maltraitée par son époux. Elle a déjà pensé appeler la police mais ne l’a pas fait. Pourquoi ?

ne pas voirLa violence conjugale est une affaire de couple

FAUX : la violence conjugale est l’affaire de tous.

Notre premier réflexe est souvent de penser qu’il s’agit d’une affaire privée. Nous avons peur de nous tromper, de déranger ou de nous mettre en danger. Cependant, il est important d’agir… de la bonne façon (nous verrons comment dans la suite de l’article).

Le choix de ne pas intervenir sert l’homme violent qui pense avoir tous les pouvoirs. Il nous replonge aussi au temps où le patriarche disposait d’un droit de vie et de mort sur les membres de sa famille qui lui devaient obéissance.

Or, en France, depuis 1970, le rôle de « chef de famille » est révolu. Les femmes ont acquis, progressivement et légalement, les mêmes droits que les hommes. Cependant, le fonctionnement de notre société est encore imprégné de cette histoire commune et nombre d’enfants et de femmes continuent à vivre sous l’autorité d’un tyran domestique.

Rappelons que les violences conjugales touchent toutes les strates de la société, tous les âges, toutes les populations, toutes les cultures. Elles sont un problème de santé publique faisant l’objet de politiques publiques nationales et internationales et leur coût social est de 2,5 milliards d’euros rien que pour la France (1).

Ce qui se passe chez mes voisins ne me regarde pas…

VRAI et FAUX : Le droit à la vie privée, à l’intimité existe et nous devons tous le respecter.

Cependant, la vie privée ne peut servir de paravent à l’oppression que le conjoint violent exerce sur sa compagne et sur ses enfants. La loi est claire là-dessus. Certaines dispositions nous exhortent d’ailleurs à dénoncer aux autorités les faits de violence ou de maltraitance quand il s’agit d’enfants ou de personnes particulièrement vulnérables. Passer sous silence certains faits violents peut être répréhensible (article 434-3 du Code pénal) (2).

J’ai peur que cela me retombe dessus.

FAUX. Nous comprenons votre crainte, mais vous devez vous positionner. Face à une situation de violence que vous suspectez ou dont vous êtes sûr, plusieurs possibilités s’offrent à vous.

a) Parler à la victime lorsqu’elle est seule

Vous pouvez profiter d’un moment où la victime est seule pour tenter de lui parler. Il ne s’agit pas de résoudre vous-même son problème de violences conjugales, mais de lui permettre de se confier.

La teneur de cet échange doit rester bienveillante et sans jugement. À titre d’exemple, vous pouvez lui dire :

« À plusieurs reprises, j’ai entendu des cris qui venaient de votre domicile et qui m’ont beaucoup inquiété.  Si vous avez un problème et que vous ne pouvez pas en parler tout de suite, sachez que je suis là pour vous écouter. Cette conversation restera entre nous. »

b) Appeler la police en cas de danger imminent

Vous devez contacter les services de police si une agression est en cours. Votre nom n’apparaîtra pas dans la procédure. Demander l’intervention des policiers ne va pas résoudre la violence, mais elle peut avoir plusieurs bénéfices :

mettre fin à une situation de danger immédiat ;

– faire comprendre à la victime, et à l’auteur, que l’entourage sait ce qu’il se passe et se sent concerné ;

– donner à la victime la possibilité de porter plainte si elle le souhaite (attention, la victime doit en anticiper les conséquences) ;

– laisser la trace d’une intervention policière, preuve qui pourra être éventuellement utilisée par la victime pour démontrer les violences dans une procédure familiale, par exemple.

c) Les réactions possibles de la femme violentée

Il est possible que la victime ne souhaite pas se confier à vous, qu’elle nie les faits, voire même qu’elle montre de l’agressivité à votre égard. En effet, les victimes ont souvent peur et honte. Elles se sentent coupables et craignent les réactions de l’entourage qui ignore les enjeux auxquels elles doivent faire face. Elle craignent aussi le caractère irrévocable de la confidence. Ces sentiments les amènent parfois à refuser de l’aide, dans un premier temps.

Malgré ces réactions souvent déroutantes, il est primordial de ne pas céder, soi-même, à l’agressivité ou à l’indifférence et de maintenir une attitude bienveillante sans être insistante ni culpabilisante (pas si simple, n’est-ce pas ?). Si cela vous est possible, renouvelez votre proposition d’aide. La femme victime saura qu’un jour elle pourra compter sur vous.

Si elle vous demande de l’aide, rappelez-vous que vous n’êtes ni Superman ni Wonderwoman. En cas de danger immédiat, vous devez l’inciter à appeler les services de police ou le faire vous-même.

Si le danger n’est pas imminent, tout d’abord écoutez-la. Vous êtes sans doute la première personne à qui elle parle. Vous pouvez lui proposer de l’aider à prendre contact avec les associations spécialisées ou l’accompagner, notamment si elle habite une région isolée, sans moyen de transport.

Personne ne bouge, pourquoi devrais-je le faire ?

FAUX : Si les victimes se confrontent régulièrement à l’indifférence ou à l’aveuglement de l’entourage, elles nous expliquent aussi très souvent que des voisins ou voisines sont intervenus, ont ouvert leur porte pour les mettre en sécurité le temps de l’orage, ont soutenu leur projet de plainte ou de départ.

Les façons d’aider une femme victime de violences sont multiples :

– conserver pour elle ses papiers importants ;

–  lui garder une mini-valise avec le strict nécessaire en cas de départ ou mise à la porte précipitée ;

l’aider matériellement quand elle n’a aucun revenu ;

– convenir avec elle d’un « signal d’alerte » vous demandant d’appeler les services de police en cas de danger si elle ne pouvait pas le faire par elle-même ;

témoigner pour elle dans sa procédure judiciaire familiale…

Pour autant, notre recommandation principale est la suivante : une situation de violences conjugales est une situation à risques et complexe. Vous ne pouvez pas la résoudre seul. Il faut inciter les femmes à prendre contact avec les travailleurs sociaux spécialisés qui leur fourniront, en plus de l’écoute, des aides juridiques, sociales et éventuellement matérielles (proposition d’hébergement, colis alimentaires, etc.).

Si la femme ne peut ou ne veut se déplacer, conseillez-lui de contacter le 39.19, le numéro d’écoute des violences conjugales, anonyme et gratuit. Les conseillères de la plateforme sauront l’orienter.

De toutes façons, moi, je ne connais pas de femmes victimes de violences conjugales !

FAUX : 1 femme sur 10 a été concernée par les violences conjugales, dans les 12 derniers mois. Donc, mathématiquement, vous êtes ou avez déjà été en relation avec une femme victime.

Il s’agit peut-être de votre boulangère, votre médecin de famille, la gardienne de votre immeuble, l’adolescente de vos voisins, l’assistante sociale qui vous a reçu hier, votre sœur, votre collègue de travail…

Dès que l’on garde à l’esprit cette réalité, il est possible de voir et d’entendre la violence pour peut-être se positionner clairement.

 

 

(1) Le coût global des violences conjugales comprend les coûts directs médicaux, correspondant aux soins de santé : 483 millions d’euros, les coûts directs non médicaux de recours aux services de police et de justice : 235 M€ , les coûts des conséquences sociales et notamment des recours aux aides sociales : 120 M€ ; coûts humains des viols et des préjudices graves : 535 Mds€ ; coûts des pertes de production dues aux décès, aux incarcérations et à l’absentéisme : 1 099 M€ (44 % du coût global). Source : Programme UE Daphné 2006 « Estimation du coût des violences conjugales en Europe » – Juin 2009. www.psytel.eu  

 

(2) Article 434-3 du Code pénal: Le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13.